Le tournage de « Rendez-vous à Farpoint »
 
 
Farpoint, StationLe pilote de Star Trek, la Nouvelle Génération, était le premier épisode Star Trek depuis dix-huit ans, mais loin de jouer sur du velours, il présentait une version audacieusement novatrice de l'univers de Gene Roddenberry.
 
Les acteurs et l'équipe de tournage se sont réunis un matin, le 29 mai 1987. Après des mois de préparation, tout le monde était enfin prêt à attaquer le tournage du premier épisode de STNG. En sa qualité de pilote de la nouvelle série, « Rendez-vous à Farpoint » devait présenter aux spectateurs le capitaine Jean-Luc Picard et son équipage, et prouver que Star Trek, âgé alors de plus d'une vingtaine d'années, pouvait être remis au goût du jour d'un public moderne. Ce pilote aurait le plus gros budget possible et une durée de deux heures, deux données qui le rapprochaient davantage d'un film de cinéma que d'une production télévisuelle.
 
Premier jet
 
Les plans du pilote n'avaient pas toujours été aussi ambitieux: la première mouture du scénario, écrite par Dorothy Fontana, durait une heure seulement. Ainsi qu'elle-même le rappelle, Q n'existait pas encore et l'histoire se limitait à la mission de l'U.S.S. Enterprise NCC-1701-D à la station Farpoint : « Dans mon premier jet, il y avait ce mystère à Farpoint, sa conception et sa création si rapides de base stellaire... Comment était-ce possible? Nous avions déjà mis au point notre créature, à l'origine en fait de ce prodige. Au tout début des recherches, on avait même suggéré qu'il pouvait s'agir d'une plate-forme militaire, mais on a vite abandonné ce type de développement. »
 
Farpoint, Amiral Mc Coy Cette version initiale du scénario mettait aussi en scène l'apparition de l'amiral Leonard McCoy à bord du nouvel Enterprise : « La fameuse scène entre Data et le docteur McCoy est l'une de mes séquences favorites dans toute ma carrière d'écrivain », ajoute Dorothy Fontana. J'avais littéralement fini de la rédiger et de l'imprimer quand DeForest Kelley est venu pointer le bout de son nez dans nos bureaux pour saluer tout le monde. Je l'ai entraîné avec moi et lui ai fait lire ce que je venais d'écrire. Il m'a dit : "J'adore cette scène, mais j'ignore si on me la laissera tourner." Je lui ai répondu : "Pas d'inquiétude, ce sera fait !" »
 
A ce stade de l'écriture, le scénario ne comportait pas encore de séquence de séparation des modules de l'Enterprise. Pourtant, Gene Roddenberry avait toujours voulu montrer que le vaisseau de James Kirk avait la capacité de se scinder en deux parties. On en trouve d'ailleurs une allusion au cours de l'épisode « La Pomme ». Dans les années 1960, les effets spéciaux auraient coûté bien trop cher, mais maintenant, c'était différent.

Roddenberry a annoncé : "Nous montrerons la séparation du module soucoupe parce que cela n'a encore jamais été fait" », se souvient encore Dorothy Fontana. « On en arrivait au deuxième jet. Et c'est exactement l'opposé de ce que l'on voit dans le résultat final ! Le module soucoupe de l'Enterprise arrive à Farpoint, et tout le monde se demande ce qui a bien pu se passer. Puis le module de combat arrive, avec Jean-Luc (qui s'appelait encore Julien) Picard aux commandes. Et nous voyons les deux modules se réassembler.»

Farpoint, USS Enterprise D, séparation coque / soucoupe

Pourtant, comme l'explique le producteur en charge, Rick Berman, cette version du scénario
ne devait finalement pas être portée à l'écran : « Gene et Dorothy avaient travaillé à un pilote qui, à l'époque, devait durer une heure. Le studio insistait pour en faire un film de deux heures, alors que Gene soutenait qu'une heure suffirait. Pour finir, le studio a gagné. Pour cette seconde heure, Gene a dû inventer de toutes pièces le personnage de Q qui, à mon avis, reste l'élément le plus mémorable de cet épisode d'ouverture.»
 
L'apparition de Q
 
La nouvelle mouture du scénario de Gene Roddenberry retenait presque toutes les scènes de Dorothy Fontana mais, afin de prolonger l'histoire comme il lui était demandé, il y ajouta une seconde intrigue, dans laquelle Q traduisait en jugement Picard et l'humanité tout entière.
 
Sa version terminée, il la transmit à l'équipe de production, chargée de donner vie à sa vision. Rick Berman se rappelle parfaitement que Gene était ravi de l'équipe et des acteurs recrutés : « La distribution des rôles avait pris des mois. Toutes les démarches étant enfin achevées, nous avions avec nous des gens comme Herman Zimmerman et Corey Alan, notre réalisateur. J'ai su que nous tenions le bon bout Tout cela allait être palpitant ! »
 
Douces réminiscences
 
Le réalisateur Corey Alan n'a conservé que de bons souvenirs du tournage du « Rendez-vous à Farpoint » : « Nous étions soumis à une pression constante, mais dans le milieu de la télévision, c'est toujours ainsi. Je me rappelle que nous avions un tournage de deux jours au parc Griffith pour filmer le holodeck. Le nombre de prises de vue était hallucinant, surtout avec la quantité d'effets spéciaux qu'il fallait y ajouter. Par exemple, l'entrée du holodeck devait correspondre à celle située à bord du vaisseau. Les personnages devaient sortir du plateau de tournage pour entrer au parc Griffith. Nous nous sommes penchés sur une carte du parc et avons filmé point par point. Tout était dans mon storyboard. J'avais établi qui irait où, quand et dans quel ordre. Au fond, c'était comme un raid de commando, tout le monde savait ce qu'il avait à faire, et le travail de chacun dépendait de celui des autres. II s'agissait d'un enchaînement rigoureux. Et tout cela a marché magnifiquement bien ! »
 
Le reste du pilote a été mis en boîte dans les studios de tournage, où le producteur-concepteur Herman Zimmerman devait créer les décors de l'Enterprise, ceux de la cour de justice du XXI° siècle, où Q fait «comparaître» l'humanité, et ceux de la station Farpoint elle-même. Comme il l'explique, tous ces décors étaient ambitieux : « Nous avons abattu une somme hallucinante de travail en un temps record. II n'y avait rien qu'on puisse prendre d'une étagère ou aller louer pour l'installer ensuite devant les caméras ! Il fallait tout inventer soi-même... en créant bien sûr des environnements aussi divergents de notre quotidien que possible, parce que c'est de cela, au fond, qu'il est question.»
 
Farpoint, Centre commercialZimmerman ajoute que quelques-uns des problèmes les plus épineux à résoudre étaient liés au gigantisme du centre commercial de la station Farpoint : « Le plus grand plateau de la Paramount n'approche pas de la taille d'un centre commercial ordinaire. II fallait donc recourir à des effets de caméras. Nous avons pris le plateau 16 et l'avons entièrement transformé pour les besoins du tournage. Par la suite, ce même plateau est devenu le tribunal, et tout cela a remporté un franc succès.»
 
Une fois les décors montés par Herman Zimmerman et son équipe, le styliste de plateau, John Dwyer, dut choisir les accessoires les plus appropriés. Vétéran de la série Star Trek Classique, il avoue pourtant avoir eu plus d'un défi à relever : « La scène figurait plusieurs marchands, dont un fleuriste et un vendeur de vêtements. Pour une enseigne en particulier, il m'a fallu environ 40 rouleaux de tissu du service des étoffes, à disposer sur d'étonnants étals... Une autre enseigne exposait des cristaux que j'avais obtenus dans un magasin de minéraux.»
 
Lumière cachée
 
« Dans une scène, nos héros flânent dans le centre commercial et font une pause afin de mieux admirer les lieux. Le directeur de la photographie voulait davantage d'éclairage pour un rendu plus éblouissant. L'éclairagiste est arrivé avec une petite lampe clignotante qu'il a installée sur un support, au milieu du décor. II me regarda ensuite et dit: "Cachons-la à la caméra." Je réfléchis. Comment dissimuler un support et sa lampe installés au beau milieu du plateau sans voiler la lumière? Je me frottais le menton à la recherche d'une solution quand mon regard est tombé sur les rouleaux de tissu... J'ai couru en couper un morceau, j'en ai enveloppé un bâton et j'ai fixé le tout au-dessus du support en laissant le tissu retomber en corolle pour un plus bel effet... Comme cela manquait encore de caractère, j'ai ajouté une plante dessous.»
 
Pour cette prise de vue, John Dwyer se souvient aussi d'avoir aidé Herman Zimmerman à résoudre un petit problème de décor : « Herman est venu me voir avec l'un de ses croquis pour le centre commercial en déclarant : "C'est un fabuleux dessin, mais je ne dispose pas des moyens pour le construire." II s'agissait d'une verrière censée se trouver au milieu du centre. Je lui ai dit que cela me rappelait une cage à écureuils pour enfants. "Si je m'en procurais une, ai-je ajouté, le décor pèserait sûrement des tonnes! " II m'a répondu qu'il disposait de quatre colonnes pour soutenir l'ensemble et que le poids ne serait pas un problème. Alors, voilà en quoi consiste notre verrière ! »

Farpoint, QL'entrée en scène de Q

Herman a également apporté son ingénieuse contribution au pilote en suggérant de quelle façon Q pourrait apparaître au tribunal. Comme il l'explique dans le scénario, le personnage semblait flotter : « De la manière dont le scénario était rédigé, personne ne voyait comment Q pourrait se déplacer dans la salle d'audience sans qu'on doive recourir aux effets spéciaux à chaque image. J'ai eu l'idée de le faire monter sur une grue de plateau et passer par un trou noir pour sa première apparition à l'écran. Ce dispositif a superbement marché ! »

Malgré des souvenirs assez heureux dans l'ensemble, Corey Alan se rappelle que les effets spéciaux n'ont malheureusement pas tous fonctionné de façon aussi satisfaisante : « L'un d'entre eux concernait un mur parcouru de pulsations. Nous avions travaillé dimanche pour être prêts à filmer lundi, mais il est vite apparu que tout n'avait pas été suffisamment pensé et réfléchi. Nous nous retrouvâmes tout un groupe à quatre pattes occupé à peindre et à assembler des objets en espérant que cela passerait à l'écran, mais je doute que nous ayons vraiment réussi dans ce que nous voulions montrer.»
 
Puis le monteur Tom Benko et les producteurs devaient s'occuper des dernières mises au point. D'après Bob Justman, c'est seulement à ce stade qu'ils se sont avisés d'un problème généré par la décision de dernière minute de développer le scénario initial : « Être averti que le film doit être allongé juste avant d'aller en production signifie qu'on manque de matériel, ainsi que je l'ai rappelé dans mes nombreuses notes de service. En outre, j'avais déjà travaillé avec le réalisateur (un type merveilleux), et je savais qu'il ne consacrerait pas plus de trente secondes par page, alors que la plupart des autres réalisateurs filment à raison d'une minute par page. Bref, nous n'avions absolument pas de quoi monter deux heures de film.»
 
Corey Alan confirme qu'il tend à préférer en général un rythme soutenu, le jugeant parfaitement approprié dans ce cas : en effet, il fallait insuffler au pilote autant de punch que possible. Néanmoins, avec un quart d'heure manquant, Bob ajoute que les producteurs durent intervenir : « Gene a ajouté des scènes, j'ai écrit une version de la séquence de séparation des modules, prise de vue par prise de vue, et nous avons allégé le découpage. Ces choix ont permis d'améliorer un peu les choses, nous rapprochant du minutage imposé, mais au détriment du rythme du pilote. II en restait de bonnes choses, hélas sans grande énergie. Et j'en suis toujours très conscient.»
 
Farpoint, Créatures de l`espace...La scène finale
 
Corey Alan ajoute que l'une des scènes utilisées pour allonger le pilote a apporté une fin beaucoup plus satisfaisante : « J'avais une idée pour le final. Q était un élément tellement merveilleux , la réponse de Gene aux questions que nous nous posons tous... II était un peu l'inquisiteur que nous portons tous sur nos épaules. Il me semblait que, dans le montage de la scène finale, lorsque l'équipage est réuni au complet, nous devrions mettre l'accent sur ces expressions interrogatives, chacun réfléchissant à ce qu'il venait d'apprendre. C'était un juste épanouissement thématique.»
 
II semble tout à fait pertinent que « Rendez-vous à Farpoint » se termine sur cette prise de vue parce que l'idée qu'en explorant la Galaxie l'homme s'explore en fait lui-même est commune à tous les épisodes de STNG.
 
Sept ans plus tard, la même question se poserait à Jean-Luc Picard et au public, grâce à Gene Roddenberry, ils auraient des réponses très intéressantes...



Créer un site
Créer un site