Ira Steven Behr est mieux connu comme le guide spirituel de ST-DS9. Mais bien des années avant d'entendre parler de Benjamin Sisko et des Prophètes Bajorans, il a servi à bord de l'U.S.S. Enterprise NCC-1101-D comme acteur.
Parfois, l'histoire prend un tour très différent aux yeux de ceux qui l'ont vécue. Selon la légende, tout s'est résolu pour STNG dans sa troisième saison. Les taux d'audience ont commencé à grimper à mesure que les épisodes de qualité s'enchaînaient. Toute analyse objective la tient pour une année-charnière fertile en accomplissements.
Ira Steven Behr, qui l'a vécue, est ravi de nous expliquer qu'à l'époque, tout ne paraissait pas tout à fait aussi rose...
Ira Steven Behr : « À chaque fois que je relis des commentaires sur la troisième saison, quand tout s'est mis en place, j'adore ça ! s'exclame-t-il en riant. En ce temps-là, nous (l'équipe des scénaristes) étions fous à lier. Nous pensions que nous allions tous être virés... Paramount allait se pointer avec une valise géante et nous y fourrer au complet (avec les décors), avant de jeter le tout à la mer... Il n'était plus question de savoir si la coupe était à moitié vide ou à moitié pleine. Nous avions sous les yeux un immense terrain vague désolé, jonché de coupes écrasées... »
Naturellement, les choses paraissent très différentes aujourd'hui. Ira n'en revient toujours pas que de si bons résultats aient découlé d'une des périodes les plus épineuses de sa vie.
Ira Steven Behr : « J'aimerais l'expliquer par le fait que nous formions, malgré tout, une équipe de talent. II faut à mon sens en attribuer le mérite à Michael (Piller) et Rick (Berman), qui amélioraient les scripts, et à Ron (Ronald D. Moore), qui a su trouver sa propre "route jaune" (en référence au Magicien d'Oz) et la suivre fidèlement. »
Ira a rejoint l'équipe de STNG à l'occasion du neuvième épisode de la troisième saison, « Le transfuge ». A l'origine, Paramount lui avait déjà proposé le poste pour la deuxième saison, sous la houlette de Maurice Hurley. Mais il avait décliné l'offre.
Ira Steven Behr : « Maurice était vraiment un gars génial, et grâce à lui, le programme prenait une tournure positive. Mais nombre de ses déclarations m'ont donné à réfléchir. Et je me suis finalement décidé contre. L'année suivante, la situation a changé. Michael Piller, que je connaissais depuis plusieurs années, était de l'aventure, ainsi que Hans Beimler et Ricky Manning, qui avaient travaillé pour moi sur Fame. Même si j'avais encore quelques réserves, j'ai donc accepté la proposition de la Paramount, en définitive. On parlait toujours de Star Trek, et annoncer la bonne nouvelle à ma soeur l'a fait sourire. N'avions-nous pas suivi ensemble la série classique à la télévision, quand nous étions gosses ? »
A l'arrivée d'Ira Steven Behr, Michael Piller était désespérément en quête d'histoires et avait besoin en outre de quelqu'un pour récrire les scénarios à sa façon. Ira se rappelle qu'il venait tout juste de se remettre dans le bain en visionnant les vieux épisodes quand Michael a surgi dans son bureau pour lui demander d'écrire des scènes pour « Le transfuge ».
Ira Steven Behr : « Sur cet épisode-là, j'ai réalisé un certain nombre de choses, en rédigeant par exemple quelques-unes des déclarations de Jarok à propos de son sentiment d'isolement, dans le holodeck. Comment allais-je donc m'en tirer ? Me suis-je demandé... Je n'avais aucune idée de la façon dont je devais m'y prendre ! Je me souviens en tout cas avoir écrit ces premières scènes et les avoir soumises à Richard Danus, un des lecteurs analystes de la production. A l'époque, je ne le connaissais pas. Je suis allé dans son bureau en lui lançant: "Lisez donc cette histoire et dites-moi si cela vaut quelque chose!" Peu après, il est revenu me dire: "Ouais, on dirait bien la patte d'un écrivain..." Cela se passa exactement de la même façon pour le script suivant: "Le fugitif". Piller arrive dans mon bureau et me parle d'une chasse à l'homme, à bord du vaisseau... "Cette partie-là a besoin d'être retravaillée. Elle ne me convainc pas. Jetez-y un coup d'oeil." Alors, je me suis écrié: "Quoi ? Mais qu'est-ce que je fiche là ? Il faut une carte pour s'y retrouver ou quoi ? Et combien y a-t-il de ponts au juste ? " Mes modifications faites, je suis une fois de plus retourné voir Danus en lui demandant si cela lui paraissait plus clair... Avais-je accompli quelque chose? Je me suis vraiment posé la question... Mais Michael est revenu me rassurer. Pour lui, c'était bien meilleur! »
En dépit des doutes d'Ira sur le rôle qu'il avait à jouer, Michael affirme avoir toujours eu la plus grande confiance en ses capacités d'écrivain. A ses yeux, Ira remplissait une fonction capitale, car Michael était résolu à entraîner STNG dans de nouvelles voies et à étoffer ses différents personnages, à leur donner plus de corps. De fait, Ira était son adjoint, chargé avec l'équipe de scénaristes de découper le récit afin de rendre les premiers jets exploitables par Michael.
Ira Steven Behr : « Je pense que Michael appréciait mon style, tout simplement. Il avait le sentiment que je savais structurer mon intrigue, et d'entrée de jeu, il m'a fait confiance. Cela a certainement flatté mon égo en me permettant de prendre de l'assurance. Michael participait très souvent à nos réunions de travail, mais pas toujours. Il abattait aussi un boulot monstre de réécriture. De plus d'une façon, il avait le couteau sous la gorge. De toute évidence, Rick désirait que les scripts lui parviennent sous une forme bien particulière – il avait le sentiment que cela devait être ainsi, et pas autrement. Or, qui diable allait se charger de tout ce travail supplémentaire? Le plus drôle, c'est que, en raison de cette situation, Michael et moi n'avons guère eu le loisir de savourer ce que j'appellerais des moments de qualité... Mais quand l'occasion de prendre notre temps et d'en profiter se présentait à nous, lorsque nous nous retrouvions tous les deux à parler de nos affaires... cela s'est gravé dans sa mémoire.
Je crois même que ces bons moments ont pris le pas, dans ses souvenirs, sur tous les mauvais. Moi, je ne me rappelle pas qu'on se soit tant amusé! Nous n'avions tout simplement pas le temps de nous détendre. II savait qu'il pouvait compter sur moi en toute occasion, et que je m'efforçais constamment de faire avancer les choses. Il appréciait, j'en suis sûr. Et cette saison-là nous a beaucoup rapprochés. »
Faire évoluer la situation n'avait rien de simple. A ce stade, STNG n'avait toujours pas d'identité clairement définie, et nombre de scénaristes étaient d'avis que le programme aurait dû davantage s'inspirer de la série classique. Mais Gene Roddenberry avait bien d'autres ambitions pour sa série dérivée, rejetant fréquemment des idées de scénarios qui auraient fonctionné à merveille avec Kirk, Spock et McCoy. Inévitablement, la plupart des écrivains indépendants rencontraient de sérieuses difficultés à appréhender ce qu'on leur demandait, et cela obligeait l'équipe de scénaristes à récrire beaucoup trop de textes.
Ira Steven Behr : « Parmi les scripts qui atterrissaient entre nos mains, les premiers jets étaient parfois si bizarres qu'on se retrouvait à rire aux éclats... Il n'y avait que cela à faire, soupire Ira. Je me souviens d'un écrivain qui, depuis, a eu une brillante carrière à la télévision... Nous avons lu son premier jet en pleurant de rire ! Mais c'était le rire du condamné, dans la mesure où nous allions une fois de plus devoir tout reprendre pour que cela fonctionne! Notre homme avait manifestement renoncé à produire une intrigue qui tienne debout, et il s'était lâché, histoire de nous faire rire... Sauf qu'au fond, cela n'avait rien de drôle. »
Ira penchait du côté des nostalgiques de la série classique, étant aussi d'avis que STNG aurait dû davantage s'en inspirer. A ses yeux, les personnages dans leur ensemble étaient bien trop parfaits pour présenter un intérêt quelconque.
Ira Steven Behr : « Je ne désire nullement taper sur la série, qui a maintes fois su prouver toute sa valeur, mais... elle ne m'a jamais accrochée. A mon sens, LA NOUVELLE GENERATION incarnait le Connecticut de la série STAR TREK tant elle semblait blanche et homogène... II n'y avait pas de feu sacré, en quelque sorte. Nulle passion ne l'animait. Gene m'a affirmé qu'au XXIV° siècle, les êtres humains n'avaient pas de problèmes. Vous voulez le fond de ma pensée? Si vous n'avez pas de problèmes, c'est que vous n'avez en vous aucune humanité. »
Qu'Ira ait tout fait pour donner des aspérités à Jean-Luc Picard et à son équipage n'étonnera donc personne. A propos d'une des scènes finales de l'épisode «Les jouets », quand Data tire sur Kivas Fajo mais est téléporté avant que le rayon mortel n'apparaisse, Ira se remémore de longues et «âpres discussions ».
Ira Steven Behr : « D'un point de vue purement dramatique, c'était un bon point, intrigant. Mais avec Star Trek, on avait l'impression de réinventer la roue ! On entraînait ces personnages si loin... Et c'est resté vrai même dans les années Deep Space 9, avec des épisodes comme "Au clair de lune" ("In the Pale Moonlight"), qui semblaient si novateurs pour cette franchise... »
La décision de Data d'abattre Fajo pouvait s'expliquer en termes de programmation cybernétique, mais repousser les limites des autres personnages était moins évident. Même à ces débuts, cependant, Ira a trouvé quelqu'un dont il a par la suite étoffé le personnage, pour DS9.
Ira Steven Behr : « Je nourrissais de grandes espérances pour Miles O'Brien, qui me paraissait déjà très humain tel quel et intéressant. Avec Ron, j'ai écrit la scène où O'Brien se disloque l'épaule en faisant du canoë-kayak dans le holodeck. Exaspérée, Crusher s'exclame: "Encore? Changez ce programme!" Et lui, O'Brien, s'y oppose. J'ai adoré ce passage. Plus tard, dans DS9, nous avons refait le coup avec Bashir et lui! »
Ira se déclare aussi ravi de la manière dont ils ont pu brosser le portrait de Sarek, qui apparaissait vers la fin de la saison. Dans l'épisode éponyme, le père de Spock souffre d'une maladie dégénérative le rendant incapable de maîtriser ses émotions.
Ira Steven Behr : «J'ai toujours beaucoup aimé cet épisode. Vraiment. C'est un des rares à avoir su piquer mon intérêt au vif en cours d'élaboration, je dois dire. Fondamentalement, il se base sur les personnages. Comment aurais-je pu me douter à l'époque que la réalité dépasserait la fiction et que la maladie d'Alzheimer frapperait ma propre famille? Que mon père en souffrirait pendant trois longues années ? »
Un des éléments qui, selon Ira, font que l'épisode fonctionne si bien concerne les parallèles établis entre Sarek et Picard. Il est convaincu que le capitaine refoule ses émotions en permanence, s'imposant un contrôle strict de tous les instants, «à la mode vulcaine ». La scène de la fusion mentale offrait donc l'occasion de voir le capitaine Picard sous un jour différent.
Ira Steven Behr : « Cette fusion mentale m'enthousiasmait beaucoup. Mais au début, Patrick ne voulait vraiment pas tourner cette scène, parce que pour lui, il était hors de question que son personnage perde son sang-froid. Rick et moi avons dû le convaincre que ce serait une scène réellement géniale. »
Un autre événement marquant de l'année fut la collaboration avec Ron Moore, qui venait tout juste de rejoindre l'équipe pour son premier contrat professionnel. Ira lui a servi de mentor, supervisant ses scripts et lui apprenant les ficelles du métier.
Ira Steven Behr : « Je ne me suis jamais véritablement posé en mentor, mais ma façon de procéder a quelque chose d'intense. Ron et moi avons fait équipe sur "Sarek". Là, nous avons réellement pris notre pied ! Nous avons eu moins de travail avec "Transfigurations". Ron adorait la série classique. Pour lui, c'était le Saint Graal, à prendre très au sérieux... C'est un fan authentique, qui écrit pour les fans. Avec son script "Les péchés du père", je me souviens m'être dit que c'était très bon. Et je suis descendu sur le plateau avec lui, dans le grand hall klingon. Bon sang, quel décor magnifique! Vaste et bien conçu, il accueillait beaucoup de figurants. Et Ron était hors de lui, tellement il se sentait excité ! Quel gamin ! Je l'adore! »
A la fin de l'année, Ira se sentait épuisé. II commença avec Michael à travailler sur l'intrigue de l'épisode « Le meilleur des deux mondes », mais quand son patron lui proposa de terminer seul le boulot, il fut ravi.
Ira Steven Behr : « Nous bossions ensemble sur ce projet, je me souviens, et à un moment, il m'a annoncé qu'il avait sa petite idée pour que cela fonctionne. Moi, je me disais alors que c'était le dernier épisode. Après celui-ci et "Transfigurations", j'étais déjà en partance pour Hawaï, et je ne pensais pas revenir. »
Ira se rappelle combien le script de Michael l'a impressionné. Mais c'est seulement avec le recul du temps qu'il peut aujourd'hui comprendre qu'il a été le témoin d'un tournant historique dans l'univers de la télévision.
Ira Steven Behr : « Michael a réussi le plus beau coup d'éclat de la série. A l'époque, je dois admettre que je ne m'en suis pas vraiment rendu compte... Je savais bien sûr que c'était un bon épisode, mais je ne me doutais pas encore que celui-là, par sa richesse et son originalité, ferait école et changerait tout... A mes yeux, Jean-Luc Picard avait toujours été un type glacial, un personnage fort peu intéressant. En, en faisant un Borg, une machine, Michael a enfin révélé toute son humanité... Un coup brillant! Je dois dire que j'ai vécu très peu de coups de génie comme celui-là, en me disant: "Ouais, c'est exactement cela !". Mais là, c'était le cas. Et tout le mérite en revient à Michael. »